La fatigue managériale & la gestion de la santé au travail: un paradoxe de plus?

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Séverine Felley, Consultante pour une performance et un environnement de travail durables ; Ex. leader RH, Psychologue du Travail & des Organisations (FSP).

Manager : rien n’est simple…. Tout se complique !

On peut lire tout et n’importe quoi sur les responsabilités qui incombent aux managers. Les propos sont souvent dépourvus de nuance quant à leur position dans l’entreprise et donc leur marge d’influence, ou se résument à des distinctions souvent absurdes entre management et leadership.

Cette tendance à leur attribuer une multitude de responsabilités, et souvent celle de tous les maux, ne fait que renforcer un discours souvent un peu simpliste sur les conditions pour un environnement de travail sain. Lorsque cela ne repose pas sur le développement d’une résilience toute individuelle, c’est alors une responsabilité managériale.

Et si je reconnais volontiers les leviers que sont les interventions aux niveaux individuel et managérial, il ne faut pas perdre de vue que les individus, et leurs actions, s’inscrivent dans un contexte organisationnel qu’il serait illusoire d’ignorer.

Je vous propose de mettre des mots sur des maux créés par 3  défis fréquemment rencontrés : Le cumul des mandats, la culture du paradoxe et l’injonction du positivisme.

Définir le management : le cumul des mandats

On trouve abondance de définitions du management et de son champ d’action. Et force est de constater que ce n’est pas une mince affaire. Pour servir mon propos, je reprends Le Goff pour qui

« le management est une notion globalisante et floue. Elle peut désigner les fonctions de direction, être synonyme d’organisation du travail, de mobilisation et de gestion de la « ressource humaine », ou plus largement encore englober (…) la quasi-totalité des activités de l’entreprise qui ne se rapportent pas directement à la technique : gestion quotidienne des aléas de tous ordres survenant dans un service ou un atelier, encadrement et mobilisation d’une équipe, relations avec d’autres secteurs de l’entreprise, organisation et gestion de son temps, voire gestion budgétaire… »

Ouf, vous êtes arrivé au bout ?

Cette définition (qui se veut critique) illustre parfaitement le côté fourre-tout des attentes liées au management. Le risque principal étant que chacun se fait inévitablement sa propre représentation du rôle d’un manager, et que ce dernier se retrouve à devoir concilier des attentes diverses, nécessitant des compétences multiples, et ce dans un cadre temporel qui reste limité par les 24 heures quotidiennes qui nous sont allouées.

La culture du paradoxe

Et si ce n’est déjà pas simple, tout se complique…

… parce qu’au-delà du cumul des mandats, l’entreprise entretient la culture du paradoxe et demande à son management de traduire dans son quotidien des demandes plus ou moins contradictoires, voire irréconciliables : Faire plus avec moins, gérer des priorités multiples, penser à long-terme et être réactif, faire confiance et contrôler, laisser de l’autonomie et assurer le respect des processus, faire preuve d’innovation tout en respectant le cadre (l’Histoire, la tradition, les processus…), promouvoir la diversité et agir en conformité. Et bien d’autres.

Ces injonctions paradoxales ont un potentiel anxiogène important. En effet, comment gérer, sur la durée, l’impossibilité de répondre à l’ensemble des attentes puisque répondre à l’une implique de faire un compromis pour l’autre ?

On se retrouve donc devant la nécessité de mettre en place des stratégies individuelles afin de créer un semblant d’équilibre, une sorte de GPS personnel pour s’orienter dans  ce dédale.  Et cette (sur)adaptation  est extrêmement énergivore.

 « Les ressources humaines et le senior management nous « hackent » le cerveau pour nous convaincre de faire des choses qui n’ont aucun sens et en nous faisant croire que c’est pour notre bien ». Un manager dans l’informatique (d’où le choix des mots).

Une complexité qui impacte tout un chacun, mais avec une dimension additionnelle pour les managers qui servent de courroie de transmission, se retrouvant en première ligne à expliquer, justifier et idéalement fédérer, autour de cette ambiguïté.

Et la difficulté s’accroît puisque devant cette culture du paradoxe, l’entreprise excelle également dans la promotion du positivisme.

L'injonction du positivisme

Outre le cumul des mandats et les difficultés induites par cette culture du paradoxe, les managers doivent donner l’exemple et démontrer la fameuse attitude gagnante. A savoir, être toujours positifs et constructifs. Gare à ceux qui formuleraient à voix haute, pire avec insistance, des inquiétudes face à des dysfonctionnements organisationnels. Que nenni, un manager se doit d’être constructif, optimiste, trouver des solutions et être agile. Or, être agile est devenu parfois l’équivalent de gérer le chaos organisationnel sans se plaindre. Outre le fait que s’instaure ainsi une sorte d’auto-censure stérile, cette injonction au positivisme, qui revient à réglementer les émotions autorisées et les comportements, engendre une réelle souffrance. On est amené à adopter des comportements, des propos et des attitudes qui sont en désaccord avec nos ressentis. L’impact de cette dissonance émotionnelle sur l’épuisement professionnel a été étudié et mis en avant à plusieurs reprises.

Bon, heureusement chacun pourra se réconforter en s’encourageant avec des phrases telles « Ce qui compte, ce n’est pas la force des coups que tu donnes, c’est le nombre de coups que tu encaisses tout en continuant d’avancer » Rocky Balboa.

Le manager ni coach ni magicien; un acteur organisationnel

Si les attentes multiples, la culture du paradoxe et l’injonction au positivisme touchent aussi celles et ceux qui n’ont pas de responsabilité managériale, je souhaitais ici mettre l’accent sur la nécessité de considérer la fonction managériale dans son contexte et non en vase clos.

Devant la complexité du rôle, il est indispensable de former, naturellement, mais surtout de mettre en place des pratiques qui accompagnent la fonction managériale de manière dynamique.  La clarification des attentes du rôle au sein de l’organisation est essentielle ainsi que la mise à disposition de ressources cohérentes avec les attentes.

En aucun cas le manager ne peut être un super héros ; il n’est ni thérapeute, ni coach, ni magicien. Les paradoxes ci-dessus démontrent la nécessité de la cohérence au sein de l’organisation. Cela revient à dire que gérer la santé (je préfère ce terme à « bien-être ») en entreprise doit être la traduction d’un réel engagement de l’entreprise et de sa culture. Elle nécessite une réflexion assumée sur l’organisation elle-même ainsi que sur l’organisation du travail. En aucun cas la promotion de la santé au travail ne peut se limiter à une suite d’actions au niveau individuel ou une responsabilité déclarée du management. Les décisions des dirigeants et la stratégie de l’entreprise doivent refléter cette volonté et donner à la fonction managériale les moyens d’être un relais efficace dans la gestion de la santé en entreprise.

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