Encourager la performance en entreprise : Et si on manquait complètement l’objectif ?
Séverine Felley, Psychologue du Travail & des Organisations (FSP), Consultante, 20 ans d'expérience en management.
Les organisations consacrent beaucoup d’énergie à définir des leviers pour motiver les équipes, à la recherche du graal que représente l’engagement. De réflexions en « best practices », on met en œuvre des incitations financières, des fêtes du personnel, des ateliers ou des team-buildings divers et variés, ou plus récemment des aménagements spatio-temporels du travail, des formations en développement personnel, des activités sportives ou encore des massages ou les fameuses corbeilles de fruits, etc…. Si ces leviers peuvent avoir un impact bénéfique, il se dilue dans un trop plein de pratiques qui, elles, tendent à mettre à mal cette motivation tant recherchée.
Motiver, inspirer l’engagement, encourager la créativité, exigent de donner de l’autonomie, de la latitude, de la reconnaissance pour ce que chacun peut amener. C’est instaurer un environnement de travail qui pose un cadre clair avec des valeurs communes, c’est permettre d’influer sur ses tâches et de comprendre leur impact dans l’action collective, c’est donner la sécurité psychologique nécessaire à l’expérimentation, à l’afflux d’idées et d’opinions, c’est assurer que chacune et chacun puisse démontrer ses capacités et développer les compétences nécessaires à sa contribution.
Gestion de la performance ou contrôle
Aujourd’hui, sous couvert de « gérer la performance », trop de ressources sont gaspillées dans des processus énergivores qui s’auto-alimentent et en appellent d’autres. Au-delà d’une mauvaise utilisation des ressources, on nourrit un système qui sape toute motivation intrinsèque chez celles et ceux qui travaillent au sein de l’entreprise.
Comment ne pas remettre en question l’impact et l’utilité des multiples processus de suivi de la performance : les multiples KPIs qui approvisionnent des reportings (hebdomadaires, trimestriels, semestriels, annuels, …), des « business reviews » à n’en plus finir, des forecasts actualisé sitôt établis, etc…
Combien ont le sentiment de passer plus de temps à répondre à ces exigences qu’à effectuer leur travail ? Le temps consacré à ces processus est colossal. Je l’ai vécu durant près de 20 ans. Pour quel retour sur investissement ? Faible. Et encore, je suis optimiste.
Alors pourquoi persévérer dans ce mode de fonctionnement ? Parce que ces outils, à défaut de soutenir la performance, assurent un contrôle, ils rassurent et donnent un sentiment (illusoire) de maîtrise.
Au cœur de ces pratiques, une vision trop pessimiste de la nature humaine qu’il faudrait remplacer par la conviction que chacun a envie de bien faire. Personne ne se lève le matin en se demandant comment mal réaliser son travail. En revanche, nos interactions avec notre environnement de travail peuvent être stimulantes, ou pas.
Et les évaluations de performance ?
Les programmes de gestion de la performance, comprenant fixation d’objectifs, évaluation annuelle et décisions d’ordre financier, sont un autre levier fréquemment utilisé.
Les périodes de revue de performance sont parmi les moments les plus anxiogènes du cycle annuel d’une entreprise. En théorie, pourtant, cela semble pertinent si on considère que l’intention initiale est de décliner la stratégie de l’entreprise en objectifs opérationnels, à tous les niveaux de la structure, afin que chaque contribution serve une finalité commune.
Dans la réalité, nous observons des objectifs trop nombreux, qui morcellent une finalité abstraite pour la plupart, qui sont parfois contradictoires entre les départements. Je passe sur les messages tels que : « Je sais que c’est inatteignable mais c’est pour vous pousser un peu ». Que dire du management qui se dit exigeant, impliquant par-là que les équipes se contenteraient d’une certaine médiocrité sans cette indispensable impulsion « exigeante » ?
Quant aux évaluations, elles se limitent encore trop souvent à un entretien annuel, parfois deux. Sérieusement, comment un entretien en fin d’année pourrait influencer la performance d’une année déjà achevée ?
Et quel impact espérer des retombées en monnaie sonnante et trébuchante ? Plusieurs chercheurs ont remis en question l’impact positif de la rémunération financière sur la motivation (notamment Deci & Ryan). On connait le risque d’adopter des visions court-termistes pour maximiser un profit au détriment de stratégies plus durables mais d’autres inconvénients sont à considérer également:
- Elle déplace la motivation vers une récompense externe et non plus sur le travail lui-même et la valeur intrinsèque de nos actions.
- L’impact d’un bonus ou d’une augmentation de salaire est limité dans le temps; vous devez sans cesse réalimenter cette source de motivation.
- L’équité de l’attribution des récompenses est un vrai défi, malgré tous les systèmes mis en place pour « objectiver » les décisions. Que se passe-t-il pour les collaborateurs dont les objectifs sont irréalistes ou encore hors de leur contrôle ?
- Et finalement, se pose la question de ce qui est monétisé et donc valorisé. Ce choix met en lumière ce qui est laissé dans l’ombre : combien de fois avons-nous entendu que l’importance n’est pas uniquement le quoi mais le comment ? De nombreux formulaires d’évaluation incluent les comportements et leur adéquation avec les valeurs de l’entreprise. Mais combien de fois, avons-nous observé que le « quoi » et le « comment » étaient considérés avec une importance égale ?
Je ne milite pas contre les outils de gestion de la performance, (il est possible d’en déployer de très bons) ni même contre une rémunération variable ou au mérite. Chaque contexte organisationnel doit construire un système qui lui convient et il existe plusieurs manières de « bien faire ». Ce qui signifie aussi qu’il n’existe pas de recette miracle et que peu de « best practices » peuvent être répliquées telles quelles.
En revanche, les systèmes mis en place doivent intégrer la complexité des interactions entre l’humain et l’organisation et soutenir la création d’un sens de l’action collective, orienté vers une finalité qui rassemble. Il faut également garantir la cohérence entre ce que l’entreprise souhaite réaliser et ce qui est effectivement valorisé (ou du moins autorisé) en pratique.
Un processus doit avoir une espérance de vie limitée
Nous fonçons trop souvent sans questionner suffisamment le pourquoi de nos procédures, sans évaluer l’impact qu’elles ont, versus celui escompté. Considérons le processus de gestion de la performance, son « succès » est souvent mesuré selon le nombre de managers qui ont effectué leurs entretiens. En quoi cela renseigne-t-il sur l’utilité du processus, sur son impact ? On fixe des objectifs de processus et aucunement des objectifs de résultat.
Une pratique, un processus devrait être considéré comme un élément dont l’espérance de vie est comptée. On se complaît à répéter que le monde est volatile, que le changement est permanent. Dans ce contexte, remettre en question ce que l’on fait, et pourquoi, afin d’assurer une cohérence entre les actions et l’impact que l’on souhaite avoir est essentiel.
Il s’agit également de questionner nos croyances. Avoir des équipes engagées, pleines de vitalité, qui amènent des idées et qui ont à cœur de faire un travail de qualité pour soutenir la réussite collective demande de la confiance. Une vision positive de la nature humaine.
Donner une finalité à l'action collective
Il est essentiel de définir une finalité autour de laquelle rassembler les parties prenantes de l’organisation. Cette finalité procure le sens tellement recherché. Non pas un sens individualisé – on ne peut réalistement attendre d’une entreprise qu’elle procure un sens « personnalisé » à chacun – mais un sens qui définit la raison d’être de l’action collective.
Cette finalité, une vision positive de celles et ceux qui participent au développement de l’entreprise et un peu de bon sens dans nos pratiques ne répondront pas à tous les enjeux du monde du travail. En revanche, cela reste le socle de base sur lequel les autres démarches doivent reposer. Ce sont les conditions nécessaires et non négociables pour résoudre l’équation aux multiples inconnues d’un environnement de travail qui soutient une performance durable.