Et si nous cessions le massacre des entretiens annuels?

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Séverine Felley, Psychologue du Travail & des Organisations (FSP), Consultante en développement organisationnel & gestion de la santé au travail.

Je n’entends jamais autant de détresse, de frustrations, de peurs et de découragement que durant la période des entretiens annuels, point final des « programmes de gestion de la performance ». Il faut bien le reconnaître, cette formulation seule n’est déjà pas très inspirante.

Comment est-il possible qu’un sujet qui a fait déjà couler tellement d’encre, et englouti autant d’heures de formation, soit encore si boiteux, à tel point que son utilité est régulièrement remise en question ?

J’ai pu vivre et observer ce processus depuis de nombreuses perspectives : employée, manager, RH, consultante et coach. Et je n’ai pas cessé de m’interroger sur les conditions nécessaires pour qu’il soit bénéfique individuellement et collectivement, utile tout simplement.

A quoi servent les entretiens de fin d’année ?

Le temps consacré à ce processus, depuis la fixation des objectifs jusqu’à l’entretien annuel est souvent conséquent. Alors, quel retour est espéré de cet investissement ? Les réponses s’articulent autour de quelques axes récurrents :

  • L’alignement de l’ensemble de l’organisation sur des priorités communes et une allocation cohérente des ressources disponibles
  • Une meilleure compréhension par chacun de sa contribution à la performance globale de l’entreprise
  • Le développement individuel grâce au feed-back et l’identification d’axes de développement
  • La mise en lumière des talents et potentiels clés pour le futur de l’organisation
  • Une rémunération en fonction de la performance individuelle et/ou collective

Dit comme cela, on peut y trouver un certain (bon) sens. Le paradoxe, est que même si ce processus est généralement présenté comme important, on entend rarement des retours d’expérience qui attestent d’un impact positif. Ce qui résonne surtout c’est : surcharge de travail, stress, frustration, baisse de la motivation, incompréhension voire sentiment d’iniquité, perte de temps, etc. De part et d’autre.

Alors, faut-il tout arrêter ou est-ce que cela peut fonctionner ? Les deux mon capitaine ! Il faut revoir le paradigme.

Vers plus d’intelligence collective

Aujourd’hui, quelle entreprise ne parle pas – au choix – d’agilité, d’intelligence collective, de créativité, d’innovation ou encore d’engagement et de co-développement. Or, les processus de gestion de la performance tels qu’ils sont définis actuellement, contredisent généralement chacun de ces concepts.

Il faut dépasser des raisonnements et des logiques fondées sur la compétition, sur le statut hiérarchique et l’attribution d’une autorité supposée, des discussions unidirectionnelles et l’infantilisation, pour construire un environnement organisationnel qui favorise la collaboration et la coopération, le partage des connaissances et des idées, ainsi que la reconnaissance de la contribution de chacun à la performance collective.

Les programmes de gestion de la performance ne fonctionnent pas, parce qu’ils sont construits sur la vision d’un système hiérarchique, archaïque, et organisé autour des relations de pouvoir. Si vous pensez que les discussions se déroulent d’égal à égal, détrompez-vous. Dans la majorité des cas, le collaborateur n’entre pas dans ces conversations avec le sentiment d’être dans un rapport d’égalité.

Il s’agit donc de changer (progressivement) de paradigme et de reconnaître les changements d’attitudes nécessaires à un fonctionnement qui mobilise l’énergie, les connaissances et potentiels de chacun, et ce dans l’intérêt d’une performance collective durable. Changements nécessaires aux niveaux individuels et organisationnels.

10 propositions pour transformer la gestion de la performance

Je vous propose 10 conditions qui me semblent contribuer à une mise en œuvre plus pertinente de cet exercice. Ces propos ne sont que le modeste partage de réflexions issues de mes expériences et qui, je l’espère vous sera utile.

  1. Les objectifs sont le reflet d’un choix, résultat d’une vraie priorisation, et co-construits. Ils sont donc peu nombreux, ont un sens (au propre comme au figuré) et tiennent compte du temps consacré aux responsabilités effectuées au quotidien.
  2. Le processus est agile et permet l’actualisation des objectifs selon les circonstances. On ne peut rappeler sans cesse que nous évoluons dans un environnement volatile, exiger adaptabilité et agilité de tous et considérer pertinent (et juste) de fixer des objectifs à 12 mois.
  3. Les objectifs reflètent ce qu’on veut récompenser, de manière cohérente avec les valeurs et la culture d’entreprise. Si on ambitionne de développer un écosystème qui promeut la coopération, la créativité, la co-responsabilité, la prise d’initiatives ou encore l’engagement, on ne peut pas récompenser des comportements qui vont à l’encontre de cette ambition. Or, aujourd’hui encore, la priorité est souvent mise sur des objectifs de performance, au risque d’ignorer des comportements néfastes au collectif. Même les compétences managériales sont souvent reléguées à l’arrière-plan. On manque donc de reconnaitre des contributions essentielles à la dynamique recherchée.
  4. La culture organisationnelle porte la volonté d’instaurer une sécurité psychologique indispensable à des échanges ouverts (article sur la sécurité psychologique).
  5. Les feedbacks sont réciproques, réguliers, documentés et objectifs ; donc enrichis d’autres perspectives que celle du manager. Simplement parce qu’il n’est pas omniprésent, et qu’il a inévitablement ses propres biais cognitifs. Il s’agit de s’éloigner d’une vision du manager « tout-sachant » et des relations de pouvoir inhérentes aux discussions de performance.
  6. Les managers, à tout niveau, sont accompagnés dans cet exercice qui est complexe.
  7. Les formations doivent être revues et aller au-delà de la théorie SMART et de la « technique du feed-back ». Il est indispensable de développer notamment des compétences liées à l’intelligence émotionnelle et à l’écoute active.
  8. Faire de ces échanges une richesse repose sur les épaules des managers et des employés. Il est indispensable de former tout le monde. Ne former que les managers est une aberration.
  9. Afin que des apprentissages émergent de ces échanges, il s’agit de mettre en œuvre des actions construites ensemble, pour de vraies opportunités d’améliorations individuelles ou collectives.
  10. Le lien avec la rémunération doit être fait de manière pertinente et si nécessaire. Il n’est pas indispensable et ne fait pas sens dans toutes les organisations ou pour tous les métiers.

Ce n’est pas simple… Et il est évident que la philosophie du « Yaka » ne fonctionnera pas. Il s’agit ici d’une invitation à réfléchir à la cohérence entre les pratiques organisationnelles et la culture d’entreprise que l’on souhaite créer, pour ensuite entreprendre la mise en œuvre de façons d’agir et de penser qui contribuent au développement durable de l’entreprise.

Et c’est également, de manière plus court-termiste, un appel à mettre rapidement plus d’humanité et d’empathie dans ce qui est aujourd’hui un processus trop souvent pesant et même douloureux pour certains.

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